A - Famille CHANSON
Récit de Christiane :
Histoire de ma famille, voici une photo que j'aime beaucoup ! Papa avait mis le retardateur et avait ensuite développé lui-même la photo dans un petit labo de fortune. L'agrandisseur était fabriqué à partir d'une boîte de lait en poudre Nestlé pour ma petite sœur sur les épaule de notre papa.
L'HISTOIRE DE LA FAMILLE CHANSON -
1940 : Papa (Lucien) et Maman (Jacqueline) étaient eurasiens et vivaient au Nord Vietnam (Ex-Tonkin) Ils se connaissaient depuis au moins l'âge de 18 ans. Lucien vivait dans un orphelinat tenu par des missionnaires. Jacqueline vivait avec sa mère et sa jeune sœur Jeanne. Sa sœur aînée Céline s'occupait beaucoup de sa famille et avait fait tout ce qui lui était possible pour l’éducation et l'instruction à la française de ses petites sœurs. Jean le second, était dans l'aviation (mais a-t-il piloté un avion une fois dans sa vie ?), allait à la chasse au tigre, vivait sa vie égoïstement, était très sévère avec ses sœurs et ne s'en occupait jamais. C'était pourtant le préféré de leur Maman (Mémé). Jacqueline était promise à Jacques R., un ami de Lucien mais préférait Lucien. Ils avaient 19 ans et voulaient se marier malgré l'opposition de Mémé. Aussi, ils ont fait ce qu'il fallait pour ... trompant la surveillance de Jeanne, ordonnée par Mémé. Mémé, la maman de Jacqueline ne voulait pas de ce bébé, mais avec l'aide de Céline (mon 1er ange), je (vous avez deviné que c'était de moi qu'il s'agissait !) suis restée en vie pour que les amoureux puissent enfin se marier. Quand je suis née, ils n'avaient pas encore 20 ans. Papa a eu le temps de passer son 1er bac, mais ensuite a dû gagner la vie pour sa petite famille. Il s'est donc engagé dans l'armée française au Vietnam. Il y fit son service militaire comme artilleurs, il avait besoin de chevaux pour tirer les canons, il devait aussi ramasser le crottin, il n’avait pas l’habitude de monter à cheval, ce qui lui donner des bleus aux fesses, ensuite, il entra à l'école d'officiers. Il réussit brillamment et sortit avec le grade d'aspirant.
1946 - C'est la guerre au Tonkin contre les Japonais et les Chinois. (Est-ce à ce moment que Papa est fait prisonnier par les Chinois ? Il y a longtemps, peut-être dans les années 1980, Michèle nous a donné une K7-TV sur un reportage où on voit Papa dans un groupe de prisonniers faits par les Chinois)
Céline fait rapatrier Mémé et Jeanne. Elle les fait embarquer sur le Pasteur (bateau de transport de réfugiés) où elles se retrouvent avec Jacqueline, Lucien et leurs trois enfants nés à Hanoï : Christiane en 1941, Bernard en 1944, Michèle en 1945. Un mois de bateau !... puis Marseille puis Bois d'Arcy (Yvelines - ex-Seine-et-Oise)
1946 : Bois d'Arcy - Toute cette grande famille y retrouve Jean, le grand frère qui vit dans une maison voisine avec Mary, sa femme écossaise et ses 2 fils : Paul de l'âge de Bernard et Pierre, plus jeune. Papa est dans l’artillerie, le régiment d’artillerie coloniale 4ème RAC à Vernon. Il y est sous-lieutenant ?
26 juillet 1947 : Céline, restée au Tonkin avec son mari Dehase, décède en accouchant d'une petite fille. Elle avait 33 ans. A Bois d'Arcy, c'est la consternation. Je me souviens de ma grand'mère qui est resté couchée pendant des semaines et qui ne pouvait plus s'alimenter, anéantie par la douleur, et de Maman et Tata Jeannette qui pleuraient.
1947 : A Fleurines (dans l'Oise), Maman, enceinte de 6 mois de son 4ème bébé, tombe d'une chaise sur laquelle elle était grimpée pour fouiller dans un placard de la cuisine. Transportée d'urgence à Versailles, elle accouche avant terme, d'un bébé qui normalement n'avait aucune chance de vivre (6 mois, c'était impossible !)... Il y a eu un miracle et personne ne veut croire qu'en 1948, un bébé de 6 mois, "de la taille d'une petite bouteille de bière" disait Maman, ait pu survivre ! Mais ce bébé, Geneviève, est né chez les Sœurs ... qui l'ont mis en couveuse, avec un ange gardien très efficace.
Puis il a fallu rejoindre Papa qui était retourné au Vietnam, dans le Sud (ex-Cochinchine), dans l'artillerie. Maman, toute seule avec un bébé prématuré de quelques mois et 3 petits de 3 à 7 ans, a pris l'avion à hélice, qui est tombé en panne à Calcutta. Le voyage qui devait durer 4 jours s'est prolongé de 3 jours aux Indes. Maman ne parlait pas anglais et ne savait pas comment demander à faire chauffer le lait pour son bébé. Michèle avait été blessée au cours d'un accident du car qui nous emmenait de l'aéroport à l'hôtel. Il y avait des charognards sur les barres des fenêtres de l'hôtel, des vaches qui déambulaient dans les rues et des indous allongés par terre sur les trottoirs, morts ? Quelle détresse pour cette pauvre Maman, enfermée 3 jours dans une chambre, avec 4 petits !
1949 : Mytho et Bentre - Sud Vietnam - Papa est lieutenant. Sous les ordres du colonel eurasien Jean Leroy, il crée des unités composées de villageois mal armés pour chasser les guérilleros Việt Minh de l’île de Bến Tre dans le delta du Mékong, au sud de Saigon. Ce mouvement regroupe les cochinchinois catholiques sous le nom de UMDC « Unités mobiles de défense de la chrétienté ». Il dessine leur blason et prend comme devise PRO DEO ET PATRIA. Il commande un poste à Cho Gao, mais il est aussi envoyé en opérations bien au-delà, par exemple au Laos, dans la plaine des Jarres et aussi près du Cambodge. Combien de fois a-t-il risqué sa vie, dans les embuscades, dans les marécages ?
Tata Jeannette, restée en France avec Mémé, suit des cours chez Pigier pour devenir secrétaire. Elle est très habile, dessine et coud très bien et nous envoie, au Vietnam, des robes adorables qu'elle a confectionnées.
Maman est quelquefois malade, elle a des hémorragies et se fait des piqûres toute seule car au Vietnam il n'existait pas de gynéco.
Nous, les enfants, allions dans une toute petite école tenue par 2 vietnamiennes, Agnès et Marguerite, et c'est moi qui corrigeais les dictées ! Dans une autre école, la maîtresse me faisait asseoir par terre, sur son estrade et me faisait dédoubler de la laine pendant qu'elle faisait du crochet avec ! (pour punir les français) ?
Mais en fait, la plupart du temps, c'était Papa et Maman qui nous faisaient l'école, avec les imprimés de l'École Universelle ABC, par correspondance. Je ne connais AUCUN papa qui aurait fait tout cela ! Papa : les cours de calcul et maths car il me préparait à l'examen de 6ème que j'ai passé à Saigon, ainsi que des leçons de dessin. Maman : les cours de grammaire, orthographe, les dictées, les tables de multiplication.
1951 : Pour Papa, c'est la fin de son service au Vietnam. Les familles commencent à être rapatriées et nous quittons définitivement le Vietnam, y laissant avec tristesse notre berger allemand Cognac et prenons le bateau (l'Auriga"). A Paris, Papa s'occupe de nous installer : il achète une petite maison très pauvre et même délabrée, aux Lilas, des lits et armoires au marché aux Puces, nous inscrit dans les écoles, nous fait donner des leçons de piano (Bernard et Michèle ont très vite abandonné) et en même temps part faire un stage de pilotage et d'observation aérienne en Allemagne. Il revient en train tous les week-ends, me fait répéter mes cours de latin - il a même acheté un livre de latin comme le mien pour l'étudier le soir, en Allemagne, me donne des cours de maths car au bout de 2 mois de latin, au lycée Voltaire, "nous" avons abandonné et il m'a fait continuer en 6ème aux Lilas, aux cours complémentaires. Il s'occupait de tout car Maman ne connaissait rien de la France et de l'administration. Elle était très timide, "sauvage", bien que parlant bien le français et l'écrivant très bien, sans aucune faute d'orthographe. Elle pouvait réciter des poésies entières de Lamartine, Victor Hugo, etc... Et cependant, n'avait que son certificat d'études.
Papa est passé capitaine. Pour préparer ses examens, il demande à Maman de lui tenir compagnie la nuit et pour veiller, il lui apprend à fumer.
1952 : Arrivent les grandes vacances de Juillet-Août 1952. Papa nous emmène en Allemagne, dans une très belle région, à Bad Kreuznach, assez proche de son terrain d'aviation (7 km : je m'en souviens car il nous les a fait faire à pieds, portant Ginette sur ses épaules, chantant et cueillant des pommes sur le chemin. Nous étions très fatigués. Il nous a montré sa petite chambre et le trou de souris où "logeait" la petite souris qu'il avait dressée. Nous avons fait le retour en voiture. Maman était restée à l'hôtel). Des vacances de rêve, la piscine dans la rivière, des cornets de glace et gâteaux autant qu'on en voulait. .. Il avait même loué un piano pour que je puisse faire mes répétitions. Papa continue à me donner des cours de maths du programme de 5ème pour que j'aie un peu d'avance, comme s'il savait qu'il ne pourrait bientôt plus s'occuper de moi. Un soir, le 15 septembre nous attendons son retour du travail, à l'hôtel de Bad Kreuznach. Il ne rentre pas... Puis, tard dans la soirée, la femme de son Général, et deux militaires amis de Papa arrivent, et emmènent Maman dans une pièce. Nous étions dans une autre pièce avec la fille d'un des militaires qui nous disait : "Votre papa a très mal au ventre - C'est pour ça qu'il n'est pas là". J'ai entendu Maman hurler, sangloter et je crois que j'ai compris à ce moment-là que je devais devenir une "grande" et aimer ma mère comme mon enfant car jamais plus elle n'aurait quelqu'un qui l'aimerait comme l'a aimée mon père.
Papa faisait son dernier vol, il atterrissait ... son collègue décollait ... Lequel a fait une faute d'inattention ? Les a-t-on mal aiguillés ? Papa est revenu une dernière fois en train à Paris - mais dans un cercueil. Jusqu'au bout, il aura voulu nous faire une blague : nous l'attendions sur le quai des voyageurs, il est arrivé par un train commercial, sur un autre quai !
1952 : A 31 ans, mon père disparaît, laissant une jeune femme du même âge et 4 enfants de 4 ans et demi à 11 ans. Sa courte vie, une concentration de talents, de bonté, d'humour et d'amour, a été très dense : artiste, il dessinait très bien et faisait des caricatures remarquables. Il a failli travailler pour un quotidien parisien, à la façon de Jacques Faizant. Au Vietnam, il a étudiait seul le chinois et le russe. Ses hommes de troupe l'aimaient beaucoup ainsi que ceux qu'il a formés en France. Très croyant, il nous emmenait à l'église et s'occupait des fêtes de charité des Lilas. Lui et Tata Jeannette passaient des heures à fabriquer et dessiner des cartes d'invitation pour les représentations organisées par la paroisse des Lilas.
A 31 ans, ma mère quittait le paradis, après une jeunesse insouciante, une vie de famille aisée, avec des domestiques, un mari aimant, des enfants en bonne santé, pour un enfer qui a duré encore 30 ans ... Elle fume de plus en plus et arrive à 2 paquets de cigarettes par jour ainsi que des cigarillos. Elle tousse aussi de plus en plus et tous nos habits et toute la maison sentent la cigarette.
1952-53 : Cette année-là, Maman nous a gardés à la maison et nous allions à l'école aux Lilas . Mémé et Tata Jeannette vivaient avec nous. Mémé s'occupait de nous pendant que Maman cherchait du travail, elle qui ne parlait à personne. Elle a commencé par fabriquer des boîtes en carton à l'usine Kalker à quelques mètres de la maison. Ce travail, toute la journée debout, a entraîné des para-phlébites à répétition.
Tata Jeannette était très douce et aidait beaucoup ses sœurs. Elle nous habillait. Maman aussi faisait comme Jeanne, mais elle n'avait jamais suivi de cours de couture comme Tata. Elle se débrouillait quand même très bien.
1953-54 : Bernard a 9 ans. Il part aux enfants de troupe des Andelys. J'ai 12 ans et j'entre à la Maison d'Éducation de la Légion d'Honneur d'Ecouen, en 4ème. C'est l'année de Dien Bien Phu. Mes copines pleurent dans le réfectoire de la pension. Papa aurait pu y être, et nous aurions pu le perdre là !
Michèle et Ginette restent encore un peu à la maison, avec Mémé qui ne nous a jamais quittés depuis que nous sommes revenus en France. Maman continue à chercher du travail. Plus tard, quand ? en 1958 ? je m'embrouille dans les dates, elle a trouvé un travail de bureau chez un marchand de matériel de camping, dans la rue des Bruyères, à côté de chez nous, mais il lui demandait de faire toute sa comptabilité, chose trop compliquée pour elle. Enfin, sa sœur Jeanne l'a beaucoup aidée en lui trouvant une place là où elle même travaillait , chez un courtier d'assurances. Elle commençait à y voir plus clair et a continué sa carrière dans ce genre d'activité jusqu'à sa retraite, à 60 ans.
Jeanne s'est mariée avec Paul Musique, mon parrain, ami de Papa, depuis l'orphelinat. J'aurais bien voulu que ce soit Maman qui l'épouse car je l'aimais bien. En décembre 1954 naît Nicole, leur 1er enfant, ma filleule.
Maman, elle, ne s'est jamais remariée : qui épouserait une mère de 4 enfants ? Une seule fois on l'a demandée en mariage : c'était un vietnamien, ancien militaire, collègue de mon père, et que mon père n'aimait pas. Elle m'a demandé mon avis ... Je lui ai répondu : "Si tu l'épouses, je quitte la maison ..." . Je ne sais toujours pas si j'ai eu tort ?
Quand je quitte la pension en 1958, Michèle y "prend ma place". Elle y travaille très bien, beaucoup mieux que lorsqu'elle était livrée à elle-même aux Lilas.
Bernard reste enfant de troupes jusqu'à la terminale, mais à Autun. Il ne s'est jamais beaucoup exprimé sur ces dures années mais je me doute que cela a été très dur, à tous points de vue.
Je propose à Maman de mettre Ginette en pension aussi, afin qu'elle ait les mêmes conditions que nous, pour réussir. Maman me répond "Tu es méchante ! " ... mais le "bébé" ira quand même à la Maison des Ailes, à Echouboulains, près de Melun. Et le "bébé" s'en sortira très bien, avec un niveau Bac.
1961 : Maman se fait opérer à Villejuif d'un cancer de l'utérus. Je suis en 2ème de Dentaire et à l'heure de son opération, je passais un examen blanc. Un copain en face de moi me regarde et me dit "Qu'est-ce que tu as ? Tu es pleine de plaques rouges ! " C'est comme si j'étais en même temps à ses côtés, à sa table d'opération et à ma table d'examen.
1981 : Maman prend sa retraite à 60 ans. Sa dernière visite médicale de travail révèle une tache aux poumons ... Sa voix a changé. Elle est plus haute, comme une voix de petite fille. Elle a déménagé à Argenteuil (pour être près de moi ?) et sans le savoir, elle a acheté l'appartement que j'avais hésité à acheter pour créer mon cabinet dentaire.
Cette année-là s'est passée entre l'hôpital St Joseph et les retours à la maison. La consultation que j'avais réussi à obtenir chez Lucien Israel (le médecin de Jacques Brel) à l'hôpital Avicenne n'a rien donné car les médecins se tiennent entre eux et ne veulent pas se voler les clients ... Maman me demandait de faire en sorte qu'elle ne subisse pas les séances de radiothérapie : elle savait, on ne sait comment, qu'elles auraient sa peau. Je l'y emmenais quand même. Tout se passait bien. Elle a passé les fêtes de fin d'année avec nous. Je l'ai quittée en Janvier pour passer quelques jours en Corse avec Jean-Pierre et elle allait seule à la radiothérapie (avec l'ambulance, je suppose ?) Quand nous sommes revenus, elle avait été brûlée à la gorge, ne pouvait plus s'alimenter, mais jamais, jamais ne se plaignait de quoi que ce soit.
Le dimanche 24 janvier, elle me laissait encore lui couper les ongles. Elle respirait difficilement avec ses tubes dans les narines. L'infirmière me dit sur un ton de reproche : "C'est bien le moment de lui couper les ongles !". Le sang qu'elle lui prélève au bout du doigt est noir. Aussitôt, on l'emmène. Quand enfin on m'autorise à la voir, ses épaules sont nues car on a dû la déshabiller totalement, elle a les yeux scotchés au sparadrap, mais une larme perle.
Maman, on ne nous a même pas laissées nous faire nos adieux !
Lundi 25, 7 heures du matin : l'hôpital m'annonce que c'est fini.
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Récit de Jean-Pierre :
Quand, Geneviève, en 1980 est devenu ma femme, Sa maman ma belle-mère, était, d'une très grande gentillesse. C'est par amour de son défunt mari, qu'elle continuer à fumer des petits cigarillos, car c'est lui qui lui avait appris à fumer sa première cigarette. Elle a fêter ses 60 ans en décembre 1981 et elle est décédé en janvier 1982. Une femme qui as travailler toute sa vie, élevant seul 4 enfants sans toucher une seul fois sa retraite.
Nous aurions tellement aimer, qu'elle connaisse notre Guillaume.
Mais la vie avait décider autrement. Maintenant elle repose en paix avec sa maman au cimetière des Lilas proche de son mari.
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